1980-2013, l’aventure du Pays

Directeur de la rédaction de L’Alsace-Le Pays pendant vingt ans, Jean-Marie Haeffelé a lancé l’aventure du Pays. Avec un premier numéro paru le 6 mars 1980, Le Pays aura été pendant 33 ans un laboratoire de ce que pourrait être une presse régionale dépoussiérée. Voici le texte que Jean-Marie Haeffelé  a écrit en 2008, pour raconter, à sa façon, la naissance du petit dernier de la PQR. [Edit octobre 2013] Décédé en novembre 2009, Jean-Marie Haeffelé n’a pas connu la fin de l’histoire. Je la résume à la fin du texte.

Jean-Marie Haeffelé a dirigé la rédaction de l’Alsace-Le Pays pendant 20 ans

« Pour la nouvelle équipe qui prend la direction de L’Alsace, au début des années soixante-dix, c’est une conviction, même si d’aucuns la voient en utopie : un jour, quand on en aura les moyens techniques, on fera de l’édition de Belfort le quotidien à part entière de l’Aire urbaine. Et cela pour quelques bonnes (et suffisantes) raisons.
D’abord l’antériorité : une « édition Belfort » de L’Alsace fut, à la Libération, l’un des premiers journaux à reparaître en Franche-Comté, à une époque où cette région va être bénie des dieux de la presse : une demi-douzaine de titres, mais qui, au fil des années, vont disparaître pour la plupart d’entre eux. D’où une menace de quasi monopole.
Or c’était sans doute dans les gènes de notre journal : la certitude que l’information suppose la pluralité de titres. La concurrence, qui, certes, ne fait pas nécessairement la fortune des gestionnaires (quoique… à voir l’érosion des titres monopolistiques) contribue certainement à la qualité de l’information. Et même au bonheur de ceux qui ont la trempe journalistique !

Trois journalistes entretiennent la flamme

Et puis, autre forte raison : l’importance du territoire, espace et cadre du « vivre ensemble », condition d’une proximité qui crée la connivence entre les lecteurs et le journal qui les informe mais aussi les exprime. On sait bien que, pour n’être pas un artifice, un quotidien doit s’établir sur une aire de diffusion cohérente… et réciproquement… Une population en d’autres termes. Or – idée iconoclaste à certains… — il y a une vraie communauté d’intérêts voire de sensibilité entre le Sud et Centre Alsace et le Nord de la Franche-Comté. Communauté d’intérêt, communauté de destin, que l’édition de Belfort est trop modeste pour exprimer. L’édition, pour l’heure, vivote dans une diffusion quasi confidentielle. Mais trois journalistes de tempéraments différents et de passion commune entretiennent la flamme : Vogelbacher, Parisot, Vairetty, installés chichement, rue des Capucins, dans une agence qui fut une ancienne boucherie. Pas folichon, mais cela permet d’attendre.
En attendant, justement, et comme on retravaille graphiquement la têtière de L’Alsace, on en profite pour inventer le titre qui signifiera que « l’édition de Belfort » devient un journal plein. Ce sera, quand les temps seront venus, Le Matin de Franche-Comté. Son logo ? Un soleil . Levant, évidemment…

30 ans de Unes du Pays depuis la première du 6 mars 1980

Un phénomène peut-être unique dans la presse

Une bonne poignée d’années plus tard, la « Gazette », notre première, modeste et vaillante roto offset arrive. Elle est la première de ce type dans la presse de l’Est. Elle offre les avantages d’un nouveau format, de la qualité d’impression, des possibilités couleurs et d’une plus grande souplesse de production. Elle propose une opportunité : réaliser Le Matin.
Alors survient un phénomène peut-être unique dans l’histoire de la presse en France : une opération de développement territorial d’un quotidien sans budget (!), sans consultants ni sondages pour casser la dynamique. Une décision spontanée à laquelle le lobbying de l’équipe de Belfort, que booste désormais Jacques Parisot, n’est certes pas étranger…
Cette manière d’y aller… en se surprenant soi-même, de foncer « à la hussarde », va innerver toute l’aventure du Pays . Lui donner son originalité, ses couleurs. On parie sur le mouvement qui se renforcera en marchant. Les moyens, comme l’intendance, suivront… juste un peu à la traîne. On commence par une, puis deux, puis beaucoup plus de pages, à mesure que se construit le réseau des correspondants, à mesure que la rédaction est renforcée par des jeunes qui ne sortent pas forcément des écoles de journalisme mais qui ont envie d’en faire, du journalisme. On leur a dit que l’aventure peut tourner court si les lecteurs ne sont pas au rendez-vous. Ils ont confiance : le succès du journal sera aussi le leur. De fait, ils auront la carte ! Beaucoup deviendront des cadres de la rédaction.

Ils proposeront des titres plus accrocheurs

« L’esprit Pays » se construit ainsi, qui contient des pépites qu’on ne trouve pas forcément ailleurs et particulièrement celle-ci : la capacité de s’investir, toutes professions confondues – commerciaux, administratifs, journalistes et correspondants – au-delà, justement de sa profession. Chacun, dans ces années fondatrices, se sent comptable du tout.
Au fil des semaines, le journal s’étoffe, le lectorat grandit. Le temps vient vite de sortir des tiroirs Le Matin de Franche Comté et son logo soleilleux. Las ! Entre-temps, il y avait eu le déjà feu Matin de Paris et l’on pouvait craindre des querelles en primo propriété. Qu’à cela ne tienne : on trouvera autre chose, mais on gardera le soleil levant ! Alors on cogite et on s’arrête sur Le Jour de Franche-Comté. Bonne pioche ? Mauvaise pioche… jugeront, sans se consulter et à une demi-heure d’intervalle, Raymond Forni et Jean-Pierre Chevènement, les deux élus belfortains, que l’on a conviés au Richelieu pour leur présenter le nouveau titre… à quelques jours seulement de son lancement.

On invente en catastrophe le slogan pour les affiches, les tracts, les autocollants

Et, toujours sans se consulter, et toujours avec l’écart de la demi-heure, ils proposeront des titres plus accrocheurs ou mieux en rapport avec le territoire que le journal couvre, pardon : couvrira. L’un d’eux fait mouche et recueille les voix de l’équipe : Le Pays de Franche-Comté
Le temps presse. Les distributeurs avaient été avertis de la naissance d’un nouveau titre. Pas question d’en reporter la date. Alors on invente en catastrophe le slogan pour les affiches, les tracts, les autocollants. Un slogan dans l’air du temps « Vivre au pays … Lire Le Pays ».

Coïncidence : on est au cœur de la grande grève

Une forme d’évidence pour ceux qui vont, au fil des mois, implanter le journal sur tout le Territoire puis dans le pays de Montbéliard. Avec les succès les plus rapides dans les localités où étaient le plus fortement diffusés les titres disparus. La presse, elle aussi, a sa part de mémoire…
Coïncidence : on est alors au cœur de la grande grève d’Alsthom. Un événement majeur plein de rebondissements que la rédaction suit en temps réel au plus près et dont le traitement contribuera beaucoup à la formation de l’image du Pays . La qualité de ses enquêtes, la rapidité de ses réactions permises par la proximité du siège et du terrain. Quand, au cœur de la nuit, survient l’accord qui permettra de sortir du conflit, la rédaction fera arrêter les rotatives pour que le journal puisse embarquer non seulement la proposition mais aussi les positions des parties en présence qui conduiront à la fin du conflit. Être au plus près de l’événement, au plus près du terrain, presse de proximité oblige ! La démonstration est faite. Le soleil s’est levé ! »

Jean-Marie Haeffelé

33 ans durant, Le Pays va jouer son rôle, à la fois de challenger de l’Est Républicain et de laboratoire d’une possible PQR rajeunie. En 2007, l’enjeu est de transformer une contrainte économique en projet éditorial. Il fallait passer de trois éditions à une seule et réduire d’un tiers le nombre des journalistes ? Qu’à cela ne tienne. Resserré sur une zone géographique cohérente, le journal devient Le Pays BHM, pour Belfort-Héricourt-Montbéliard. Tandis que les correspondants couvrent l’actualité hyper-locale sous forme d’images légendées, les journalistes produisent des articles à forte valeur ajoutée. Chaque jour, les rédactions locales de Belfort et Montbéliard produisent un dossier. Les faits-divers sont regroupées dans des pages spéciales. Le chemin de fer est ultra-ordonné. Internet est pris en compte dès le lancement. Le site autonome du Pays reçoit 800 visites par jour à son lancement au printemps 2008. A sa fermeture le 1er octobre 2013, les lecteurs sont 22000 chaque jour (soit plus de deux fois l’audience papier). Le site ne publie que de l’info locale, s’interdisant les informations générales, les « insolites » et les sujets qui buzzent s’ils ne sont pas régionaux. Le Pays se situe en 15è position des sites de PQR référencés par l’OJD. Mieux, cette croissance sur le web ne fait pas d’ombre au print. Le quotidien, qui diffuse un peu moins de 10 000 exemplaires sur une zone de 300 000 habitants va voir ses ventes augmenter pendant trois ans, en 2009, 2010 et 2011. En 2012, l’Alsace est économiquement exsangue et c’est en Franche-Comté que les économies vont commencer. La mutualisation des contenus avec l’Est Républicain, désormais lui aussi propriété du Crédit Mutuel est de plus en plus forte, les effectifs de la rédaction fondent. Le 1er octobre 2013, L’Alsace vend Le Pays à l’Est Républicain, qui choisi de réunir les deux titres en un seul.

En mars 2010, Le Pays publiait une compilation de ses 30 plus belles Unes :
Une par an, les 30 plus belles Unes du Pays

Une réponse sur “1980-2013, l’aventure du Pays”

Les commentaires sont fermés.